Découverte et introduction du micro-processeur à CII-HB et Bull (1975-1985)
Exposé fait le 10 décembre 2003 au Conservatoire des Arts et Métiers à l'occasion de la remise d'un Micral N par François Gernelle
Il est trop facile de résumer la politique de Bull en matière de micro-informatique en attribuant à son management la stérilisation de R2E, le torpillage du projet JJSS de collaboration avec Apple et la visualisation trop anticipée d'un monde dominé par UNIX. On essaiera ici, sans complaisance, d'analyser ce qui a été, pour l'essentiel, la démarche de Bull, proche de celle de la plupart des autres constructeurs informatiques installés sur le marché, devant le microprocesseur et la microinformatique au cours de la période clé 1975-1985.
Préhistoire de l'Ordinateur Individuel (années 1960-1970)
Le micro-ordinateur n'est pas né spontanément: dans ses aspects
d'ordinateur individuel, il a d'ailleurs été précédé, en France, au début des
années 1960 par la CAB-500 en "scientifique" et par le Gamma 5 dans le domaine
de la gestion.
|
|
La CAB-500 qui a été commercialisée par Bull ne s'adaptait guère au réseau commercial
Bull enfoui dans les applications de gestion. De plus, son marché fut rapidement
cannibalisé chez Bull-General Electric par la commercialisation des systèmes
time-sharing (M-40 et surtout GE-265) où l'ordinateur central était entouré de
terminaux.
Les successeurs de la Petite Machine (Gamma 5) évoluèrent progressivement vers un petit
ordinateur de gestion (level 61) et non vers un ordinateur personnel pour probablement la
même raison.
GE-58
On rappellera aussi que la plupart des "inventions" attribuées à Steve Jobs
et/ou à Bill Gates sont en fait celles de Xerox sur un ordinateur personnel qui ne
comportait pas de microprocesseur.
La technologie (années 1970)
Développement des Circuits intégrés .
Bull (dans ses avatars successifs: Bull-GE, CII, Honeywell-Bull, CII-HB, Bull SA)
a suivi les développements internationaux (américains et japonais) sur le plan
technologique. Dès 1970, l'hypothèse d'un développement incrémental des circuits
intégrés (SSI, MSI, LSI) avait été prise en compte dans les développements de
nouveaux produits. Cependant, l'idée d'un système ouvert incorporant une
"logique" conçue par d'autres restait refusée par les concepteurs des
ordinateurs Bull.
Peut-être obligés à contre cur d'oublier la conception des circuits
élémentaires électroniques, les concepteurs désiraient conserver la maîtrise des
produits en n'allant chercher à l'extérieur que des "portes". La poursuite des
architectures sur plusieurs générations technologiques présentait aussi des contraintes
particulières, comme les bytes de 9-bits du DPS-8, à un point que même à l'époque des
MSI, les circuits les plus courants ne pouvaient pas être utilisés.
On peut noter que Honeywell reçut du gouvernement américain des contrats de recherche
importants au titre du plan VHSIC -en réaction au plan VLSI japonais- mais les retombées
civiles de ce programme furent limitées aux développements des technologies
d'hybridation qui, reprenant l'idée originale de General Electric, conduisirent à la
technologie d'assemblage de circuits LSI et MSI connue sous le nom de micropackaging.
C'est cette technologie qui fournie d'abord par Honeywell et NEC fut la technologie des
mainframes DPS-7 et DPS-8 à l'époque (deuxième moitié des années 1970) de la
conquête du marché par les microprocesseurs.
Honeywell-Italie développa à la fin des années 1970 un micro-processeur (fondu chez
Synertek-Philips) devant concurrencer le DEC microVAX comme tout petit mini-ordinateur et
comme ordinateur personnel. Cette machine DPS-6-100 fut assez mal accueillie par le
réseau commercial et les clients.
DPS-6/100
Les circuits standards.
Le premier VLSI du commerce à être utilisé dans le groupe fut la mémoire MOS
Intel 4Kx1-bits, utilisée dans le Level 64 dès 1973. Rapidement, les mémoires
principales, puis caches (SRAM) utilisèrent des VLSI standards. A noter que c'est
Honeywell -avant la fusion avec GE- qui mit le pied à l'étrier de Intel par une commande
de mémoire.
Il était prévu que la LSIfication conduirait un jour à la réalisation d'un processeur
entier sur une puce, mais en 1975, il manquait encore un ordre de grandeur (x10) au
circuit intégré pour accueillir un processeur 32-bits et la performance du MOS était
encore assez loin du bipolaire TTL. Certes en dehors du processeur, il y avait dans un
système beaucoup de logique qui n'avait pas ce besoin de performances, mais la greffe sur
une ligne préexistante est coûteuse en temps et en ressources et on peut noter que, le
DPS-7 livré en 1981 n'incorporait encore qu'un seul microprocesseur (8085) dans le
contrôleur de clavier de la console.
La puissance d'un micro-ordinateur 8-bits de 1975 était évidemment beaucoup plus faible
que celle des mainframes qui avaient des bus de 32 bits et fonctionnaient avec des cycles
de base plus courts. De plus les micros devaient exécuter par boucles de sous-programmes
de plusieurs instructions des fonctions qui étaient câblées (ex: MOVE, TRANSLATE) dans
les mainframes. La puissance (Kops) des processeurs restait dans un domaine d'au moins un
ordre de grandeur, ce qui laissait espérer le maintien durable d'une segmentation forte
(non-interpénétration) de leurs marchés.
Le marché des VLSI et les utilisations précoces du microprocesseur
Instrumentation et Process Control
Bull, sous la double contrainte de General Electric et du Plan Calcul, avait abandonné
complètement le marché des automatismes industriels et de l'instrumentation au cours des
années 1960. Ce marché n'avait pas été repris lors de la fusion CII-Honeywell Bull
puisque les actifs de CII étaient transférés à la SEMS. Le Mini-6 de Honeywell fut
pratiquement commercialisé dans des applications de teleprocessing tandis que la division
process control développait ses propres VLSI et microprocesseur sans aucun lien avec
Honeywell Information Systems. La naissance du Micral N dans ce marché passa donc
inaperçue de Bull.
Évolution des Terminaux.
Le micro-processeur n'était donc destiné qu'à devenir un moteur pour les
terminaux "intelligents" développés par des divisions spécialisées du
groupe. Ces derniers abandonnaient leur machine à écrire devenue optionnelle ou
partagée pour devenir des terminaux à balayage télévision utilisant nécessairement
une mémoire locale standard et une logique de mini-ordinateur minimum.
Ces terminaux furent développés par CII-HB aux Clayes (suite du programme TMM-VU) et par
Honeywell (OKC puis Boston) pour le VIP7800.
On notera cependant que Bull, même développeur de terminaux, est resté à l'écart du
plan de fabrication du Minitel qui était considéré d'un objectif de coût trop agressif
pour satisfaire aux objectifs de rentabilité d'un grand constructeur.
Malgré (ou à cause) des investissements considérables consentis par CII-HB à
l'architecture de réseau DSA -utilisant X25-, le groupe ne développa pas de terminaux
natifs X25, ni DSA et les clients équipés de Teletype ou de terminaux VIP durent
recourir aux PAD fournis par l'opérateur public.
Petits systèmes.
Honeywell-Bull avait maintenu sous le nom de Level61 sa ligne de produits petits
systèmes issus du Gamma 5, mais les développements de cette ligne étaient limités par
l'architecture du processeur central. C'est ainsi que naquit une collaboration avec la
firme américaine Datapoint se traduisant par l'utilisation d'un frontal Datapoint sur le
61 et l'adoption de la version autonome de ce frontal comme terminal intelligent
multifonctions MTS-7500.. Il faut se souvenir que le Intel 8008 avait été développé
suite à une demande de VLSIfication de Datapoint qui, malheureusement, n'a pas donné
suite et laissa à Intel le développement de cette architecture.
Terminaux de saisie.
Le déclin de la carte perforée apparent dès la fin des années 1960 laissait
la place non seulement à des terminaux interactifs de saisie directe dans l'application,
mais aussi à des terminaux de saisie autonomes sur bande magnétique puis cassettes et
disquettes. Après les Keytape de Honeywell, vinrent des terminaux
"intelligents" comme le MTS7500 remplir la fonction anciennement assurée par
les perforatrices et vérificatrices. L'indépendance de ce segment vis à vis de celui de
l'ordinateur personnel disparut rapidement au début des années 1980.
Bureautique.
Au cours de la deuxième moitié des années 1970 naquit la bureautique
électronique. Si certains constructeurs furent tentés par l'intégration du traitement
de textes à leurs minis, CII-HB identifia le marché des stations autonomes dotées de
microprocesseurs et jugea indispensable des associations avec des fournisseurs déjà
implantés sur le marché. L'histoire des associations européennes a été écrite par
ailleurs, mais il faut noter que Bull commença par importer des stations luxueuses de la
firme CPT à base de microprocesseurs Z80 et dotés d'un système d'exploitation
particulier. Une version économique fut développée par Bull sous le nom de TTX-35. Ces
matériels disponibles en 1980-1981 étaient équipés de disquettes 8 pouces. Un
émulateur de CPT exista sur PC, mais la segmentation entre micro-ordinateur généraliste
et machine réservée au secrétariat disparut (la querelle Wang contre Wordstar) disparut
avec Word de Microsoft.
|
|
Le micro-ordinateur et la micro-informatique
Le micro-ordinateur.
Une des démarches de CII-HB fut d'acquérir le contrôle la compagnie R2E en
1978. Vue de Bull Systèmes, R2E n'était encore qu'un petit constructeur de plus.
Prologue était un système d'exploitation spécifique qui n'avait pas encore acquis de
parc significatif d'applications.
R2E micral N original
L'autonomie de R2E dans le groupe Bull subsista jusqu'à la fusion avec d'auteurs acteurs
(et en particulier Transac). Le management historique de R2E resta longtemps aux
commandes. Les rivalités internes entre lignes de produits CII-HB et Honeywell
dissimulaient aux yeux de presque tous les acteurs l'importance de cette entrée du groupe
dans la micro-informatique.
En fait, c'est le plus souvent par des expériences extra-professionnelles que la plupart des ingénieurs découvrirent l'importance de la micro-informatique au-delà du microprocesseur. Déjà les calculettes programmables de HP et de TI, réalisées en quelques chips, avaient des architectures de processeur comparables au Gamma 3, mais ce fut la découverte de l'Apple II, de l'Atari 800, de l'Oric et du Commodore qui montrèrent qu'il y avait une dimension graphique au-delà du BASIC que nous pratiquions en time sharing depuis 1964. Nous ne pouvions ne pas être insensibles aux fonctions du Star de Xerox, même si le prix en était prohibitif.
Toutefois, nos stratèges continuaient à croire aux développements du time-sharing sur ce qu'on appelle aujourd'hui des serveurs et réclamaient des fonctions de bureautique interactive sur GCOS et ce jusqu'en 1984. Le bas prix des micro-ordinateurs "domestiques" et la dimension ludique leur laissaient croire à l'existence de segments étanches entre ces micros et l'informatique sérieuse. Il faut noter que R2E, devenue Bull-Micral, ne croyait aussi qu'à cette informatique sérieuse (Prologue/Dialogue).
Les stations individuelles et le PC.
L'introduction de l'IBM PC laissa nos stratèges perplexes. Pourquoi à côté
des terminaux intelligents et chers, comme le Displaywriter (francisé en Visiotexte), IBM
voulait-il voir l'Apple II et le Commodore comme une menace stratégique. Le PC n'était
pas une machine géniale, c'était aussi une machine chère hors de la portée du
consommateur domestique français. Que venait faire IBM dans cette affaire? Un consensus
s'établit bientôt sur le fait qu'IBM non plus n'en savait rien.
IBM n'avait pas fait de choix définitifs entre PCDOS, CP/M et pSystem. Certains clients
commencèrent à fantasmer sur le PC, allant jusqu'à nous demander UCSD Pascal sur toutes
nos lignes!
Mais pour Bull, cette période fut avant tout celle du rassemblement de l'informatique
française -du moins celle sous le contrôle des sociétés nationalisées- au sein de
Bull.
L'addition de SEMS et Transac entraîna l'addition de nouveaux produits de minis et
micros: Ce fut ainsi la SM-90 à base de processeurs Motorola 68000 avec un bus
propriétaire, ce fut le RISC Ridge pour la CAO , ce fut surtout le système Convergent
Technologies, hérité d'un accord avec Thomson. Cette dernière ligne à base de Intel
8086 concurrençait en fait directement les produits professionnels de R2E. La
commercialisation par Bull n'en était pas exclusive (Burroughs en était aussi
distributeur) et certains clients de banques nationalisées trouvaient à cette
non-exclusivité un attrait supplémentaire. Ce fut Bull-Transac qui hérita de ces
matériels et il chercha des "compétences distinctives" qui consistaient à
promouvoir le standard Starlan de réseau local et à recoder le logiciel CTOS.
Questar 400
Pendant ce temps, Bull-Micral (ex-R2E) décidait, en accord avec la direction générale,
de commercialiser le BM-30, pur clone de l'IBM-PC avec MS/DOS développé par R2E of
America à Minneapolis. Bull, peut-être à cur défendant, entrait dans la voie des
systèmes ouverts. Le BM-30 fut suivi du BM-60 un "presque" clone de l'IBM
PC/AT. Le BM/60 fut suivi de machines vendues à des quantités réduites explorant la
voie du PS/2 de IBM (BM-40 avec bus "micro-channel") tandis que Bull
commercialisa une excellente machine BM-600 à base de 386 et bus AT, mais dont la
conception et les cartes mères étaient de provenance Mutitech (maintenant Acer). On sait
qu' à la fin des années 1980, Bull fit l'acquisition de Zenith Data System et arrêta
ses développements sur ce secteur en France.
Micral BM-30 compatible IBM PC
La nébuleuse des stations de travail s'obscurcit encore avec le support stratégique
apporté par la direction de Bull aux systèmes UNIX. Elle voyait dans UNIX le
renversement du monopole IBM ainsi que l'unification de ses serveurs minis et plus tard de
ses mainframes. UNIX n'était pas encore un OS de station, mais un système
d'exploitations multi-terminaux. On notera que Bull ne commercialisa pas sur BM-30 ni
Xenix ni un port de Unix réalisé par Honeywell-Boston. En fait, Bull ne fut presque
jamais (sauf avec le BM-30) avant l'acquisition discutée de Zenith, un fournisseur
notable d'ordinateur individuel.
Les micro-processeurs sur les serveurs.
On terminera en évoquant les choix des micro-processeurs dans les serveurs
de la compagnie. On notera d'abord que le Micral N est fonctionnellement un mini (un
PDP-11 moins cher). Le 8086 eut son heure de gloire sur la ligne Questar 400 (CTOS). Il
fut aussi utilisé comme gestionnaire des outils de servitude dans le DPS-7000 Ares en
liaison avec le 386 de la console de cette machine. Pour être complet, il faudrait
mentionner l'usage de microprocesseur en tranches AMD 2900 sur DPS-8 bas de gamme et corne
contrôleur de disques DPS-7.
microprocesseur DPS-7000 de...1994
Le Motorola 68000 représentait le choix privilégié du début des années 1980 avec
le SPS-7 (alias SM-90), les produits équivalents de Honeywell, le processeur frontal
Mainway et la plupart des contrôleurs de périphériques du DPS-7000. Si le SPS-7 et le
XPS de Honeywell tournaient sous UNIX, les autres développements eurent des systèmes
d'exploitation spécialisés propriété exclusive de Bull.
Le choix de l'architecture Motorola fut mis en doute vers 1985 et une nouvelle période
agitée s'ouvrit pour Bull, les concepteurs de processeurs RISC s'efforçant de gagner la
référence de ce qui était le constructeur européen. Bull entretint des liaisons avec
MIPS, IBM et il faillit tomber dans le giron de HP.
Aujourd'hui, le partenaire principal est (re)devenu Intel qui fournit, outre des serveurs
Linux, les processeurs des serveurs NovaScale qui ajoutent aux systèmes d'exploitation
standards les systèmes d'exploitation GCOS.
©2003 texte et photos en couleur de Jean Bellec