Historique des industries de haute technologie

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mise à jour 25 déc. 2002
© 2002 Jean Bellec

Jusqu'en 1945, ce qui est convenu d'appeler aujourd'hui les technologies de l'information était encore dans la période pré-historique. De nombreuses inventions avaient été faites tant en Europe qu'aux États-Unis. Mais il faut remarquer que le développement industriel des calculateurs et celui des équipements à cartes perforées se sont faits durant la première  partie du siècle à peu près exclusivement aux États-Unis. On peut attribuer ce fait à ce que l'attrait pour la mécanisation de travaux relativement triviaux était dû à la rareté ou à la cherté de la main d'oeuvre aux USA tout au moins avant la crise de 1929. Mais même durant la Grande Dépression, il est resté un consensus en faveur de l'accroissement de productivité.
Les compagnies opérant des réseaux télégraphiques et téléphoniques sont toutes aux États-Unis des compagnies privées et elles ont eu dès le début une vocation mondiale tout en donnant à leurs actionnaires un rôle dominant. Cependant, dans le monde entier, y compris aux États-Unis les gouvernements ont voulu administrer ou du moins réguler rigoureusement leurs opérateurs de télécommunications.

Entre 1945 et 1964, l'industrie des ordinateurs est née à la suite du développement explosif de l'industrie de la radio pendant la seconde guerre mondiale. Cette période a vu l'entrée de l'électronique (tubes à vides, puis semi-conducteurs) dans l'industrie des calculateurs jusqu'alors confinée aux technologies électromécaniques, souvent commune aux télécommunications. De nombreuses sociétés d'électronique se créèrent ou entrèrent dans le marché de l'ordinateur et cette tendance se retrouva dans les sociétés européennes et japonaises, car on considérait alors que le marché potentiel des ordinateurs pouvait représenter un des débouchés les plus importants pour les composants électroniques.

Cette période -en fait jusque vers 1975- fut marquée par une injection massive de l'argent gouvernemental américain dans les activités liées à la Défense. L'industrie de l'ordinateur fut essentiellement financée par les gouvernements et par de grandes sociétés comme les services publics ainsi que la construction aéronautique. Les compagnies financières n'adoptèrent le calculateur électronique qu'un peu plus tard, lorsque la maturité de ces systèmes permit la remise en cause de leurs équipements mécanographiques.
Beaucoup d'avancées de l'industrie aux États-Unis ont été dues aux subventions directes ou indirectes du Département de la Défense, surtout pendant la guerre de Corée et le souci du risque d'entrer dans une troisième guerre mondiale en position d'infériorité lorsque l'Union Soviétique lança le premier Spoutnik. Aux États-Unis, à l'exception possible des laboratoires principaux  de IBM, la plupart des ordinateurs ont été conçus dans une communauté d'ingénieurs et de scientifiques ayant travaillé sur des projets liés à la défense.
Aux États-Unis et en Grande Bretagne, ainsi que dans quelques pays européens, les années 1950 et 1960 virent un engagement important des Universités pour entreprendre elles-mêmes des développements d'ordinateurs, quitte à en transférer ensuite la connaissance à l'industrie.

Les sociétés de mécanographie à base de cartes perforées (IBM, Remington-Rand et Bull) furent très proches d'être submergées par les nouveaux entrants (par exemple Univac), mais elles parvinrent à survivre en capitalisant sur leur compétence en matière de périphériques et aussi par l'argent que leur avait procuré l'exploitation de tabulatrices.

Les grands utilisateurs privés commencèrent au cours des années 1960 à équilibrer les contrats gouvernementaux. Ils réussirent à imposer un modèle économique de centralisation du traitement des informations dans de grands centres équipés d'ordinateur de plus en plus gros. Les nouveaux entrants se virent progressivement condamnés à un marché de niches (telles la défense ou l'automation industrielle) ou bien à fusionner avec des compagnies plus grosses comme Honeywell ou Burroughs.

Durant cette période l'industrie des télécommunications ne vit que peu de changements ni de structure, ni de technologie, mais se développa essentiellement en augmentant considérablement le nombre de ses clients.

La période 1965-1975 vit l'âge d'or des ordinateurs "main frames", dominé par IBM et ses séries de machines compatibles. Presque toutes les compagnies grandes ou moyennes du monde industrialisé s'équipèrent en ordinateurs. Des sociétés de logiciel furent créés pour essayer de remplir la faille crée par la lenteur de développement des applications et pour aider les clients privés ou publics à développer des applications transactionnelles.


L'industrie américaine des ordinateurs atteignit sa majorité. Beaucoup de nouveaux entrants provenant de l'industrie électronique (GE, RCA...) se replièrent de leurs engagements précédents et se mirent à fusionner. A partir de 1969-1970, le Département de la Défense coupa ses subventions directes aux systèmes d'applications et se concentra sur la recherche en intégration de composants. Un des derniers investissement du Pentagone dans la technologie de l'ordinateur proprement dit fut Internet qui fut planifié dès la fin des années 1960, même si beaucoup ne l'ont découvert que 25 ans plus tard.

L'Europe, le Japon et l'Union Soviétique essayèrent d'entrer sur le marché des ordinateurs, souvent sous l'égide de plans gouvernementaux. 
Le Japon réussit à développer une industrie en se fondant sur les keiretsu, grands groupes non spécialisés, et à combler le fossé avec les américains grâce à des subventions gouvernementales à la technologie des semi-conducteurs. Le MITI encouragea des alliances de coopération avec les grands constructeurs étrangers pour acquérir les connaissances en conception de systèmes, en logiciel et en expérience  de l'usage des ordinateurs
Le Royaume Uni ne fut pas capable de maintenir ses efforts des années 1950 et entreprit assez tôt une concentration de l'industrie qui coïncida avec la perte de part de marché dans le pays et dans le Commonwealth.
L'Allemagne adopta une stratégie similaire à celle du Japon, en se basant sur l'alliance e Siemens avec RCA et en investissement en technologie. Les ambitions de Siemens furent limitées un peu par d'autres compétiteurs plus petits et surtout par le poids important de IBM Deutschland.
La France et l'Union Soviétique essayèrent de développer de presque zéro une industrie non dépendante des États-Unis. En France, des intérêts privés ne purent remplir leurs engagements sans recourir à des alliances (initialement avec le californien SDS, puis avec Siemens).
L'Union Soviétique avait le plan d'imiter le S/360 de IBM, mais il apparaît que la plupart des chercheurs et l'établissement militaire aient choisis leur propre solution, à la manière des USA des années 1950.

 

Même si cette période vit l'apogée des mainframes, les mini-ordinateurs nés pour les applications de process control commencèrent à envahir le marché de l'informatique, essentiellement en passant au client la diminution de coût du matérieL. Beaucoup de clients s'intéressèrent à l'informatique distribuée. Dès les années 1970, le futur s'inscrivait déjà : l'ordinateur sur une puce électronique dans les années 1980.

Les deux décades suivantes sont en effet marquées par une nouvelle révolution: l'apparition du microprocesseur qui est entré d'abord dans les  calculettes et les montres, balayant les vieilles compagnies qui s'accrochaient à la technologie mécanique. Ensuite, la naissance de l'ordinateur personnel changea à peu près tout dans cette industrie. Sur le plan industriel le marché de masse conduisit les industriels à faire fabriquer dans les pays à bas coût de main d'oeuvre 5Taiwan, la Corée et la Malaisie) et de ce fait à diminuer leur personnel employé dans les pays où les avaient leur siège social. 
LA Corée et Taiwan entrèrent dans ce marché avec leur secteur privé aidé par des avantages concédés par les gouvernements (protection contre les importations, subventions et avances et financement de parcs technologiques). La Malaisie recourut davantage à des investissements de production par des compagnies étrangères (européennes, américaines ou japonaises). La Chine continentale se joignit à ces pays durant les années 1990 en offrant des coûts encore plus bas et un marché intérieur potentiel considérable.

Pour quelques temps au début des années 1980, l'industrie américaine, ou tout au moins une partie d'entre elle, se mit à rêver à un retour es années 1950 avec l'Initiative de Défense Stratégique du gouvernement Reagan. Cependant cet espoir s'atténua rapidement et quand les États-Unis entrèrent en guerre contre l'Irak en 1990, les armées durent dévaliser les magasins offrant aux civils des ordinateurs portables et des GPS. Bien entendu, cette pénurie ne fut pas durable, mais ce fut plutôt dans des technologies éloignées des besoins civils que se déployèrent les investissements.

L'Europe, à l'exception de l'industrie des télécommunications qui commença à réaliser ce qu'elle pouvait tirer des technologies électroniques numériques, commença un lent, mais peut-être irréversible déclin dans la conception et la fabrication des matériels de haute technologie. Seule une poignée de société de logiciel en Allemagne et aux Pays-Bas continuèrent à exploiter quelques niches en rivalisant avec les Américains. Une quantité appréciable d'argent européen et japonais fut dépenser dans les acquisitions de compagnies qui étaient à vendre parce que périclitant.

Dans le marché traditionnel des ordinateurs, les traitements par lots avaient cédé la place aux applications à accès direct utilisant les lignes de communications, marquant le mariage entre les industries. cette période fut marquée par la croissance de quelques géants du logiciel (en  premier lieu Microsoft, mais aussi Oracle et Computer Associates), croissance alimentée par un effet de volume et aussi par des acquisitions de petites sociétés. Une tendance lourde de cette période fut pour les entreprises clientes d'externaliser leurs systèmes d'informations entre les mains de sociétés de service  comme  EDS ou un peu; plus tard IBM Global Services. Cette tendance avait l'avantage de permettre l'optimisation de grandes plates-formes coûteuses au dépens de leurs constructeurs. EN parallèle, des plates-formes meilleur marché et optimisées pour le support d'applications standards tels les serveurs Sun pour Internet se répandirent depuis la fin des années 1980 et pendant les années 1990.

Les télécommunications qui avaient été dominées depuis longtemps par des monopoles régulés commencèrent à devenir ouvertes à la concurrence et à suivre le marché au lieu de le diriger.

La période post-1995 a été une phase de consolidation de l'industrie des ordinateurs, c'est à dire la disparition de start-ups nés dans l'enthousiasme de la période précédente et les write-offs des acquisitions trop chèrement acquises. Cette consolidation atteint aussi l'industrie des périphériques, des télécommunications et même des logiciels. Pour certains, comme IBM, la consolidation s'accompagna vers une mutation (ou plutôt un retour) vers un business différent celui des services. On peut noter sans en tirer de conséquence que cette mutation coïncida avec la mise à la retraite de beaucoup d'acteurs ayant vécu l'aventure de la naissance de cette industrie.

La fin des années 1990 a été marquée par la "bulle" générée par l'intérêt porté par les organismes financiers récemment dérégulés aux marchés des télécommunication et des services via Internet. De nouvelle sociétés furent crées dans le but de prendre position sur le marché publicitaire sur Internet, juste pour pouvoir être ensuite rachetées un bon prix. De vielles compagnie se prirent au jeu et gaspillèrent le capital acquis sur les marchés traditionnels. Toutefois, il ne faudrait pas oublier qu'Internet est devenu durant cette période une technologie utilisée par des centaines de millions d'usagers de PC dans le monde.

Une autre caractéristique de l'industrie électronique des années 1990 est l'abandon d'un modèle intégré des entreprises et la naissance de compagnies spécialisées dans une partie de produit. Des compagnies se spécialisèrent en rachetant des usines des grandes marques ou en construction de toute pièces de nouvelles usines , de préférence dans le sud-est asiatique (Singapour, Malaisie, Taiwan puis Thaïlande et Chine continentale) regroupant main d'oeuvre docile et compétente et bas salaires.
La conception des microprocesseurs resta essentiellement une spécialité américaine, mais la conception de la fabrication des mémoires, des microcontrôleurs, des processeurs de signaux (DSP) se dispersa dans le monde entier.